Agir pour le changement. S’engager au Burkina Faso
Par Angélique Maige
S’engager pour le changement
Après une longue période de dénonciation des nombreux malaises actuels, le constat est désormais admis. Une prise de conscience a eu lieu : nos modèles économique, financier, industriel et environnemental doivent être sinon bouleversés, au moins sérieusement remis en question. Nous entrons à présent dans une phase où le plus difficile reste à venir : comprendre que si savoir est un élément important du changement, l’action en est l’élément déterminant. Nos modèles en la matière sont Martin Luther King, Rosa Parks, Nelson Mandela ou encore Gandhi qui se sont tous battus pour soulever des foules et diriger des actions qui menèrent au changement de modèles dépassés et régressifs.
Tous ont en commun l’implication d’un grand nombre de personnes dans une série d’actions qui menèrent à la chute d’un modèle dénoncé au préalable. Nul besoin de réunir une large majorité : au début des années 1960, aux Etats-Unis, environ 25% seulement d’Américains soutenaient la cause noir américaine. Aujourd’hui, 75% des personnes vivant aux Etats-Unis souhaitent que le modèle dans lequel nous vivons soit remis en cause. Combien sont prêts à effectivement s’engager dans cette direction ? Cet exemple nous montre combien il est difficile de dépasser ce stade de la prise de conscience pour réellement amorcer un changement. Et l’on remarque que nous parlons ici du pays dont les habitants ont l’un des pouvoirs d’achat les plus élevés au monde et une importante tradition d’intervention des citoyens dans la vie publique. En d’autres termes, les Etats-Unis sont certainement le pays où nous aurions le plus de chances de trouver des volontaires du changement.
Pensons donc ce qu’il peut en être dans les pays du Sud. Ces pays que nous faisions anciennement appartenir à un groupe que nous qualifions de tiers-monde et qui continuent aujourd’hui de cumuler un nombre impressionnant de difficultés en comparaison à nos propres problèmes.
Dans nombre de ces pays d’ailleurs, la prise de conscience quant au nécessaire changement de modèle, n’a souvent pas eu lieu. On peut aisément comprendre que les priorités se trouvent ailleurs. Une rapide anecdote ici : j’observais un jour l’un des minces ruisseaux qui coulent de chaque côté des routes de Ouagadougou et qui tiennent place d’égouts à ciel ouvert pour évacuer les déchets des 1.5 millions d’habitants de la capitale burkinabé. Je me fis alors la réflexion typique d’une jeune étudiante française sensibilisée à la question environnementale et me demandais pourquoi, compte tenu des nombreux accords de coopération et donc soutiens financiers étrangers, rien n’était mis en place pour procéder à l’assainissement de la ville et la mise en place d’un système d’évacuation digne de ce nom. Lorsque je posai la question à l’un de mes amis burkinabé, celle-ci fût, à ma grande surprise, accueillie d’un rire franc. Ce rire fût cependant immédiatement suivi d’un regard sévère, et mon ami de me répondre : « lorsque la question principale que les habitants d’un pays ont à l’esprit c’est de savoir s’ils auront suffisamment à manger pour leur famille le lendemain, ils ne se posent pas beaucoup de questions concernant la protection de l’environnement, vois-tu ? ». Oui je comprenais… Je comprenais surtout que s’il est déjà très difficile de mobiliser des millions d’occidentaux sur des problématiques pour lesquelles 75% d’entre eux se disent intéressés, il doit rester peu de temps à des personnes dont la priorité est de trouver à se nourrir pour s’impliquer dans la vie publique de leur pays.
Un exemple d’engagement au Burkina Faso
Cependant, dans tout pays du monde l’on trouve des personnes qui s’engagent plus ou moins, selon leurs moyens, le temps dont ils disposent et les opportunités qui se présentent. Et dans les pays du Sud comme partout, l’on rencontre des personnes qui ont su mettre en place de magnifiques exemples d’implication de citoyens dans la vie de leur communauté ; souvent par le biais de la création d’entreprises. C’est ce que cette série d’articles sur le Burkina Faso va s’efforcer de démontrer: mettre en lumière les exemples de projets dans lesquels des gens n’agissent pas pour changer le monde ou ses modèles, mais pour changer la situation de quelques uns à l’échelle locale.
Et si monter sa propre petite entreprise dans nombre de pays du Sud reste encore un défi que peu peuvent relever, beaucoup bénéficient de l’aide et du soutien de très petites associations occidentales qui, travaillant depuis longtemps sur certains territoires et ayant créé des liens d’amitié forts avec leurs habitants, transfèrent petit à petit à ces derniers leurs compétences et responsabilités.
C’est le cas notamment de l’exemple que nous allons regarder de plus près. Anthony était venu au Burkina Faso pour la première fois en 2001. Il était volontaire au sein d’une petite association de la banlieue de Nancy, « Les Amis de Poa », qui met en place des chantiers de construction dans le domaine de la santé et de l’éducation depuis 1978. Jumelée avec la préfecture de Poa, au Burkina, l’association travaille en lien direct avec les administrations et entreprises locales pour, avec les premières, choisir les projets qui seront menés à bien et, avec les secondes, bâtir ces projets. Ainsi, pendant les deux mois d’été, deux équipes de volontaires se relaient pour participer, avec architectes, maçons, briquetiers et villageois, à la construction d’un bâtiment par mois. Ces bâtiments servent à accueillir écoles, infirmeries, dispensaires, maternités, ou encore ils servent de logements aux fonctionnaires nécessaires et que l’association est assurée de voir nommés par l’Etat burkinabé du fait de sa coopération administrative.
Anthony était donc venu avec « Les Amis de Poa » pour la première fois en 2001 et il y est retourné chaque année par la suite ; puis deux fois par an depuis 2008 lorsqu’il a décidé de monter sa propre association sur place. Terre Burkina est une association qui soutient plusieurs acteurs burkinabés, allant de la production musicale aux maisons d’accueil pour jeunes filles, en passant par le tourisme solidaire. Mais son activité principale est le parrainage d’enfants en grandes difficultés afin de leur permettre de rester scolarisés. Concrètement, un parrain en France finance, pour 1€ par jour, la scolarité d’un enfant au Burkina et reçoit en retour lettres, photos et autres marques d’attention qui sont souvent le début d’échanges amicaux entre l’enfant et son parrain.
Pour mener à bien son projet, Anthony gère les aspects administratifs depuis la France et travaille en collaboration avec des amis au Burkina. Ils sont salariés de l’association et ce sont eux qui gèrent quasi entièrement l’action sur place. Globalement, Anthony est bénévole et est entouré, en France, d’une toute petite équipe de bénévoles. Au Burkina, les personnes qui s’occupent de la gestion des parrainages et des enfants sont salariés, ce qui leur procurent à eux une activité et donc une source de revenus. Mais surtout, leur action a une influence directe sur leur territoire et sur un nombre toujours plus grand de personnes. Aujourd’hui, ce sont ainsi plus de 50 enfants et adolescents qui bénéficient des parrainages grâce à Terre Burkina. Le résultat à peine quatre années après la création de l’association : trois adultes qui ont un métier et un salaire, et 50 enfants qui continuent de pouvoir aller à l’école et qui poursuivront peut-être, grâce à l’engagement de leurs parrains, des études pour accéder à un métier dans leur pays. Une petite association donc, mais un grand engagement de quelques uns qui fait la différence pour plusieurs dizaines de personnes.
N’est ce pas ainsi finalement, que les plus grands changements se sont opérés ? Une idée, quelques personnes, et des actions qui se multiplient.
Le site de l'Association "les Amis de Poa": http://amisdepoa.free.fr/